vendredi 26 février 2021

Le songe d’un crépuscule du soir


 «Le crépuscule jette encore un dernier rayon». Sur la ville, aurait pu préciser Alphonse de Lamartine, y assistant, pour planter le décor de ce tableau d’une brunante, dont Macha Belsky, investie, semble-t-il, d’un regard plus que jamais songeur, onirique, a magnifié, poétisé l’atmosphère. 

C’est, bien sûr, l’image du déclin du jour sur un quartier de la ville contemplée depuis la terrasse du jardin du Cours, aménagée au flanc occidental de la colline de la Croix-Rousse, l’une des deux collines inspirées de l’artiste. 

Toutes proches, tant que la main pourrait les toucher, quantité de maisons se dressent, s’élèvent, monumentaux blocs cubiques, s’écartant, en deux pâtés - légèrement inclinés sur la courbure d’un arc les coiffant - de part et d’autre de l’ouverture d’une rue violemment éclairée par une lumière phosphorescente, jaune-vert, irradiant de lampadaires invisibles. 

À proximité, quelque peu retiré, un jeu de façades, pour l’une d’elles, illuminée, en sa partie haute apparente, du vif rouge orangé qu’avive le faisceau d’un projecteur ; pour les autres, abîmées dans la pénombre, lissées sur toute leur hauteur d’un nuancier de bruns, rougis, violacés, matis ou rehaussés. 

Comme le décor d’une crèche de la première nuit, peint aux couleurs d’une palette féerique.

Rejeté totalement dans l’enténèbrement du soir, un bloc massif de bâtisses, lourdement enfoncées sur le sol, coulées dans une obscurité teintée de bleu sombre, violâtre, ne montrent que leurs derniers étages dont les fenêtres, à peine perceptibles, se ferment sur des trous noirs, comme sur des mystères. 

C’est là l’essentiel de ce paysage urbain, couvert du vaste plateau formé par une faible cascade de toits légèrement pentus qui retiennent une neige ancienne que le gel a tassé, pétrifié, en plaques marmoréennes, que le crépuscule du soir jaspe de lueurs violettes dans leurs déclinaisons de tons saturés, aubergine, zinzolin, jusqu’aux pâleurs délicates du lilas, et de la suavité du mauve. 

Au-delà, comme un fond de scène, s’étend, épousant la perspective sphérique générale, l’ondulation transversale de la colline de Fourvière, piquetée d’une myriade de toits, comme une mosaïque d’améthystes, que domine la Tour métallique en la blanche et scintillante érection de sa flèche. 

Sous le ciel uniformément voilé du rayonnement mourant du soleil, l’horizon, déjà envahi par l’obscurité grandissante, se barre d’une longue et épaisse cordelière indigo. 

Certes, le site s’identifie en des parties qui ne constituent toutefois que la structure d’un paysage transcendé dans une irréalité plastique, plutôt l’image d’un songe apparu aux yeux de l’âme de l’artiste, au travers d’un filtre poétique, révélé sur la toile dans la théâtralité de l’imaginaire qui s’est affirmé de plus en plus, malgré son apparent naturalisme, au cours de cette saga paysagère. 

Pour en accentuer l’insolite, pas plus aujourd’hui qu’hier, ne se produisent d’acteurs sur la scène, mais, comme aux premiers jours, la voix des pierres, tant on les entend vivre, exudées des murs des maisons, sous les feux de la symphonie chromatique. 

Une écriture picturale, que l’on pourrait commenter de ce propos d’Alain : «Songe n’est point mensonge, sinon en ce sens qu’il représente ce qu’on voudrait, non ce qui est». 


Charles Gourdin


Acrylique et huile, 100x81 cm


machabelsky.com

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